Le Loisir à Corrençon, samedi 19 mars 2016

Après les nouvelles (noires!) de ces dernières sorties, Sergio nous livre, à l’occasion de la sortie à Corrençon, son dernier roman, toujours aussi noir! Trop long, je n’ai même pas pu le censurer! A suivre !!! …

Piège à Corrençon en Vercors

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Deux heures et quart. Le silence Un silence à faire peur. Je suis seul dans mon lit, j’aime pas ça , mais alors, pas ça du tout. Je réalise.

Je ne suis pas « a casa » …

Et c’est la troisème piqûre de morphine depuis mon arrivée…

Rien qui puisse me calmer, je serre une plaque en caoutchouc entre mes mâchoires, en fait, je ne la serre pas, je la broye au sens littéral. Mes dents y sont plantées…

 La cause?J’ai atrocement mal à mon genou droit, ça me lance,  c’est comme un marteau -piqueur toutes les deux secondes…

Et pourtant j’étais tellement bien , il y a de cela seulement quelques heures, un an, un siècle, une éternité!

Retour

Mes chers amis, désolé de vous lâcher pour quelques jours, mais actuellement, comme je suis hospitalisé à Nord, je rédige ma petite chronique hebdomadaire depuis un grand lit d’hôpital ,suite à un accident, ou peut-être à une aggression, je ne sais pas trop. J’essaie de récupérer, l’anesthésie générale m’a plombé , je suis brassé comme pas possible et c’est par bribes que des copines m’ont raconté les faits que je vais essayer de vous exposer. A part ça le moral est assez bon , les infirmières sont très attentionnées et la doctereresse , Marie-Pierre, prévoit un retour à la normale dès la fin de la semaine prochaine. Pour l’instant, le plus terrible ,c’est la perruque bouclée que l’on me propose pour les visites à venir, afin de  cacher toutes ces entailles horribles au cuir chevelu. Chevelu , enfin, si on en parle au passé, tellement ces vilaines  plaies à la tête m’ont esquinté le crâne…

Lundi

d’après les premiers témoignages, là, je cite le journal local qui reprend les faits, car faut pas compter sur ma mémoire, puisque ma ligne de vie a carrément beugué! Tout avait pourtant bien commencé. la météo était vraiment comme chacun voudrait l’imaginer, un ciel qu’on aurait voulu peindre, aucun nuage égaré la-haut et un soleil , heu.. Beau comme un soleil , ha, merde, je trouve plus les mots, j’ai encore cette putain de douleur en haut du crâne. Excusez la gossièreté mais c’est la vérité vraie.

Bref , on avait eu beaucoup de chance ce samedi, l’auberge du Clarion avec son cheval de fer et ses tentes accrochées aux branches pour amuser les petits n’enfants avait enfin regagné la sympathie des randonneurs. Finies les grandes pancartes » Hors sac interdit » qui glaçaient l’accueil, il y avait enfin d’autres tables, les mêmes d’ailleurs, mais à disposition du public , avec toutefois une discrète invitation à consommer, de l’autre côté de la piste, juste en face des tables RESERVEES UNIQUEMENT AUX CONSOMMATEURS. De fait même cette pancarte a disparu. Les mystères du marketing! Mais combien de fois j’ai râlé en silence avant de bifurquer vers la clairière du Lautaret!

Mardi

Je commence enfin à recoller des plaques de souvenirs. Les miens. Pas des infos venues de l’extérieur. Cest comme un puzzle dans le brouillard, on avance, mais à tâtons, il y a des fausses pistes, des emboîtements incongrus mais ça rassure quand même un peu. Quelques visites, ça me calme, je vais beaucoup mieux, les agrafes tiennent bon, ça suppure moins et j’ai pris l’habitude de me coiffer avec la perruque, tant pis si c’est n’importe quoi cette masse de cheveux bouclés… C’est temporaire m’ont dit les infirmières. Et la docteresse a confirmé. Alors je suis moins inquiet.

Mercredi

C’est bon. Je suis enfin en mesure , maestro, de raconter les faits, pas tous , mais à part un trou noir de quelques heures, je sais. Je peux témoigner à mon tour. Dites, à propos,je ne vous ai pas parlé de l’enquête? Patience mes amis, j’y viens. Donc, ce matin, deux policiers sont arrivés spécialement de Lyon pour enregistrer mes déclarations. Grâce à eux, je commence à saisir de quoi il s’agit. En résumé, notre petit groupe de raquettistes a été victime d’une agression sur le chemin du retour et ce ne serait que la suite d’autres attaques au même endroit, et à la même heure. Etrange.

Ces messieurs de la police, très courtois au demeurant, remontent actuellement la piste d’une bande de malfaisants et des témoignages concordants laissent à penser qu’ils sont tombés sur  « un gros truc » . J’ai pas tout compris, moi je me suis contenté de leur raconter mes souvenirs, des faits avérés par tous les témoins présents sur les lieux. Accrochez-vous, mesdames et messieurs, le spectacle va commencer! A la vérité je fais pas trop le mariole tellement ça me brasse encore…

Corps – En  – Sang en Vercors !

Jeudi

Je me revois marchant seul sur la large piste du retour, loin devant mes compagnons, personne devant, personne derrière, rien que le fracas des raquettes à chaque pas.

Soudain un bâton de ski, je revois bien la scène, un bâton de ski se plante devant mon pied droit, exactement au moment précis où il se soulève, et le bloque, c’est imparable. Cruel, inévitable. Je cafouille, tout ça se mélange, mon pied gauche part en vrille et je tombe , lourdement, loin devant, sur ce genou , celui avec la plaque vissée dans le tibia, celui – là même qui a été opéré voilà pile quatre ans! Et comme le poids du sac aggrave le choc sur la mince couche de neigerecouvrant à peine le sol pierreux, les graviers s’enfoncent bien fort dans ce genou-là . Purée, mais quelle poisse de merde! Je hurle, c’est pas  possible une connerie pareille, c’est quoi ce piège affreux? Je ne crois pas au hasard, il n’y avait absolument personne dans les environs, alors pourquoi? Je me tortille au sol comme un vers, je souffre, douze degrés sur une échelle de dix, bordel,et je presse ma guibolle à deux mains tout en brâmant comme un possédé! Le temps dure longtemps et la vie sûrement plus d’un million d’années, surtout en hiver. Et je n’arrête pas de crier, c’est horrible, je roule , je bascule de gauche à droite, de droite à gauche en grimaçant, quand soudain, je vous mens pas, je mens jamais sous la torture, des piques, des pointes de bâtons me transpercent, à travers l’anorak, j’y crois pas, je ferme les yeux, j’esquive, enfin j’essaie, je protège ma tête, mais là ce sont les côtes qui reçoivent alors les aiguilles sadiques et je gueule à pleins poumons, j’en peux plus, je suis criblé, crépi de flèches, je râle, j’ouvre à peine les yeux, et  je vois . Horrible! La neige est rouge de mon sang et des rires m’enveloppent,comme une carapace de pure cruauté! Oh non! C’est vraiment insupportable§ Ces connards se fendent la pipe, je sais bien que quelqu’un qui se casse la figure ça fait toujours rire, mais là c’est différent, on rit de ma douleur, on l’aggrave par plaisir, ça me rend fou, je suis transpercé jusqu’à l’os, mon ventre  me fait atrocement mal, je vais crever, c’est sûr, je sens mes tripes brûlantes déborder de dessous l’anorak complètement foutu, les rires s’amplifient, ça résonne dans ma tête, je vais craquer, je vais pleurer,je suis tombé sur des dingues, des killers, je vais y laisser ma peau, finir comme ça, non, non, pitié, je veux pas, NOOOOON !

…Après c’est le blanc, le vide, le trou, rien. On m’a dit que j’avais perdu connaisssance et que, certains de la réussite de leur crime, les aggresseurs s’étaient évaporés dans la nature. Peu d’indices pour les retrouver. La chance que j’ai eu , je devrais plutôt dire le miracle c’est d’avoir été secouru rapidement par un musher, un chirurgien à l’hôpital Nord , passionné de traîneau qui m’a fait aussitôt les premiers soins puis m’a transporté à toute berzingue avec son équipage de huskies jusqu’au restaurant des Hauts plateaux, tout en alertant les secours. Et, deuxième miracle,l’hélicoptère qui est arrivé très, très rapidement. De tout cela je n’ai absolument aucun souvenir. Aucun, enfin, si , un seul. Mais merveilleux, sauf que c’est peut-être un rêve, une invention de mon cerveau en pleine confusion. Quoique… Parfois, c’est etrange et très doux, je revois avec une acuité troublante, la serveuse, Charlotte, pourquoi Charlotte? Parce que c’est une excellente variété de pommes de terre nouvelles ? Celle que je viens de planter dans mon potager? Je jure de n’avoir jamais mis les pieds dans ce restaurant au départ des pistes. Mais une image, une seule, me poursuit, je n’irais pas jusqu’à dire qu’elle m’obsède, mais elle est tellement liée à ces évènements qu’elle s’impose avec la force de l’évidence. Vous allez me dire que c’est normal vu mon état de stress , mais alors comment expliquer qu’il existe une photo, une seule qui confirme ce rêve incongru qui tourne en boucle dans mon esprit perturbé? Une photo que , surtout, je n’ai jamais prise, puisque j’en étais bien incapable! Une photo postérieure au drame! Comment arriver à comprendre que cette photo montre Charlotte, que je n’ai jamais vue, ni d’Eve ni d’Adam, donc jamais photographiée, en train de poser pour moi, devant l’enseigne des Hauts plateaux… avec son plateau de service sur la tête ! Et son  sourire de princesse, un sourire tonique, éblouissant de fraîcheur, de gaité! Le mystère des brunes…Bien sûr c’est bien mon style de photo en ce moment, mais c’est tout bonnement de la science fiction! Qu’est -ce que c’est encore que ce bintz?

Vendredi

les enquêteurs remontent une piste de paumées, de droguées recherchées par toutes les polices, expatriées des grandes métropoles du Nord de la France qui prendraient plaisir à perpétrer des aggressions sur des touristes isolés en pleine nature. Des sortes d’Amazones vivant en communauté, en tribu, une espèce de secte cachée dans des squats de la vallée grenobloise et qui s’adonnerait à des rituels morbides, des sortes de cérémonies où ces dingues rechercheraient à faire couler du sang sur la neige, toujours plus de sang.

Mais pourquoi à Corps En Sang En Vercors ? La police patine… Moi,  ma peau lisse revient, alors ce que j’en dis…

C’est qu’on vit vraiment une époque formi, formi, formidable!

Sergio

PS: la saison des raquettes se termine, chacun va continuer son chemin de vie, alors je remercie Brigitte qui m’a proposé d’écrire pour le club, Gilbert qui a été compatissant, et aussi toute l’équipe de l’USSE ski nordique qui m’a permis de délirer encore une fois dans le car et sur le papier. C’était vraiment du bonheur de chanter faux, de raconter des blagounettes à deux balles, de mitrailler tout le monde, et surtout, surtout, d’écrire mes petites bêtises, mes « oeuvres de jeunesse » à soixante printemps passés. Encore merci à Marie-Pierre, à Sylvie, à tous et à toutes, etc, etc et particulièrement à ma « petite Valérie », la dernière arrivée, qui m’a toujours fait confiance et soutenu dans des moments particulièrement difficiles, la vie n’est pas spécialement un long fleuve tranquille, mais ça…C’est une autre histoire. Ciao!

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